Quand les espaces racontent le temps / Sfax 2014 / Musée du Bardo 2014 / Biennale de Dak’Art 2016 / Addis Photo Fest 2016

 

Quand l’espace raconte le temps (Borj Keskes)
Cette installation-photo ( tirée d’une série de 50 photos prises juste après la mort de ma grand-mère) est une invitation ouverte à visiter ou, plutôt, à découvrir l’intérieur intime d’une demeure familiale, particulière à la ville de Sfax, située au sud de la Tunisie. On l’appelle le Borj. Les Borjs de Sfax sont implantés au milieu de grands vergers « les Jnens ». Ils ont une architecture typique, adaptée au climat et au mode de vie des gens de la région. Tous les Borjs se ressemblent sur le plan architectural. Les meubles et les objets qu’ils renferment sont quasi identiques. Dès lors, tous ceux qui y ont vécu, à quelque âge que ce soit, partagent pratiquement les mêmes souvenirs et les mêmes sentiments. Malheureusement, les Borjs de Sfax sont en voie de disparition, corollairement à la disparition de la vielle génération qui les a bâtis. Le Borj avec son contenu « d’habitus culturel » comme dirait Pierre Bourdieu est un vrai patrimoine aussi bien matériel (le bâtiment, les meubles…) qu’immatériel (les souvenirs de mode de vie…) qu’on devrait sauvegarder soigneusement et non détruire. Aujourd’hui, on n’en construit plus depuis que la « modernité » a envahi la ville et ses environs. Les vieux Borjs sont désertés. Les meubles, les équipements, les objets, les vergers, qui les ont tant caractérisés, résistent pendant quelques temps et finissent, eux-mêmes, par dépérir dans l’indifférence générale. A travers la prise de vue photographique, j’ai voulu rendre et revivifier ces instants exquis ; les vestiges et les objets qui ont, plus ou moins résisté, sont encore là, témoins d’une présence, d’un vécu, pleins de souvenirs. Avant qu’ils ne deviennent un patrimoine immatériel, j’ai essayé de les fixer. Tout était encore en place lorsque j’ai pris les photos sauf les personnes. C’est pour cela qu’il n y a aucun personnage dans ces photos, mais des endroits, des détails, des objets, chargés d’histoire, portant l’âme de toute une génération. Car quand les images racontent les souvenirs, l’absence devient présence.
Tel un linge étalé ces photos tirées sur du tissu, cousus en jebba, robe, pull…sont attachés par des pinces en bois ou dressés sur des cintres suspendus dans l’espace même du borj. C’est une sorte de mise en abîme du borj. Pourquoi des photos en linge, car tout simplement s’il y a linge étalé, il y a vie, par conséquent il y a présence. La « mémoire » cette chose impalpable, est l’espace temps de l’événement artistique concrète.
Je rends hommage à ma grand-mère aussi par une projection vidéo de deux images qui se chevauchent en fondu enchainé et qui montrent la limite infime entre la vie et la mort. Entre ces deux images, on passe de la présence physique à l’absence-présence.